Le moteur électrique possède plusieurs caractéristiques le rendant intéressant par rapport au moteur thermique, parmi lesquels un rendement de 80 % à 90 % (contre 40% pour un moteur thermique). Il existe deux principales technologies capables de fournir aux moteurs électriques l’énergie nécessaire à leur fonctionnement : la batterie lithium-ion qui stocke l’énergie électrique directement sous forme électrochimique, et la pile à combustible qui permet de transformer de l’énergie chimique en électricité en temps réel.
Avec un temps de recharge considérablement réduit (de l’ordre de quelques minutes) et l’avantage pour certains modèles de pouvoir fonctionner avec une grande diversité de combustibles, la pile à combustible destinée à la mobilité constitue une technologie intéressante. Le niveau de maturité varie cependant fortement selon le type de pile à combustible considéré. Certains modèles sont d’ores et déjà disponibles commercialement (dans les véhicules FCEV notamment), tandis que d’autres types de piles sont encore au stade de prototype.
Fonctionnement d’une pile à combustible et enjeux
Une pile à combustible génère de la tension électrique grâce à l’oxydation d’un combustible sur une électrode et à la réduction sur une autre électrode d’un oxydant tel que l’oxygène de l’air. La cathode (1) est le côté négatif de la pile, exposé à l’air et sur lequel les molécules de O2 sont réduites.
L’anode (2) est le côté positif sur lequel le combustible est oxydé. L’anode est la couche la plus profonde et la plus solide de chaque pile.
En fonction du type de pile à combustible, un ion H+ ou O- est formé à l’anode par la réaction d’oxydation ou à la cathode par la réaction de réduction et se déplace de l’un à l’autre (4).
L’électrolyte (3) est une couche dense et imperméable aux gaz de chaque pile, située entre l’anode et la cathode. L’électrolyte doit pouvoir conduire les ions entre la cathode et l’anode, mais également constituer un isolant électrique pour que les électrons issus de la réaction d’oxydation ou de réduction soient contraints de se déplacer au travers du circuit externe (5).
Les ions (H+ ou O2-) transitant dans l’électrolyte se recombineront ensuite avec de l’oxygène ou de l’hydrogène, générant comme simple coproduit de l’eau (à l’anode ou à la cathode, selon le type de pile).
Il existe de nombreuses technologies de piles à combustible. Pour des usages en mobilité, on recense toutefois deux modèles principaux :
- La pile à membrane échangeuse de protons (PEMFC – Proton Exchange Membrane Fuel Cell en anglais) est compacte et fonctionne à basse température, aux alentours de 80 °C. Elle fournit des rendements[1] entre 40 % et 60 % et convient très bien aux usages portatifs comme les transports. Elle fait cependant encore l’objet d’études visant à réduire son coût, aujourd’hui encore important en raison de l’utilisation de platine à l’anode et la cathode. Le matériau faisant office d’électrolyte est en polymère. Dans les PEMFC, de l’hydrogène est dirigé vers l’anode de la pile, où une réaction d’oxydation conduit à la formation d’ions H+ et d’électrons. Les ions transitant dans l’électrolyte se recombinent alors à l’anode avec les électrons et de l’oxygène pour former de l’eau. Elle aujourd’hui utilisée dans de nombreuses applications, et notamment au sein des véhicules H2 disponibles commercialement.
- La pile à oxyde solide (SOFC, Solid Oxide Fuel Cell) fonctionne à très haute température, aux alentours de 1000°C. Elle possède un bon rendement électrique, entre 40 % et 70 %, mais également un très bon rendement thermique. La SOFC se compose d’unités de piles de 4 couches, dont trois en céramique, empilées les unes sur les autres (« stackées »). La céramique ne devient active électriquement et ne laisse traverser les ions qu’à condition d’atteindre une très forte température, ce qui explique le niveau de température de fonctionnement plus élevé requis pour ce type de pile. La SOFC fait toujours l’objet de développements, car elle reste très lourde et supporte mal les arrêts fréquents. La transformation chimique repose sur la réduction d’oxygène à la cathode permettant de générer des ions O2-. Ces ions transitent alors dans l’électrolyte et se recombinent avec l’hydrogène côté anode, formant de l’eau.
Par rapport aux moteurs thermiques, les SOFC présentent plusieurs caractéristiques rendant leur application intéressante pour des usages mobilité :
- Une diminution de la consommation de carburant, grâce à une efficacité de conversion supérieure
- Une élimination des rejets de NOx, de SOx et de particules fines
- En milieu urbain, la baisse de pollution sonore engendrée par l’utilisation des SOFC, bien moins bruyante que d’autres systèmes est également un avantage non négligeable
Vis-à-vis des PEMFC, les SOFC ont pour caractéristique de pouvoir fonctionner avec une large diversité de carburant, dont le gaz naturel.
La pile à combustible au gaz naturel
Seul l’hydrogène peut venir s’oxyder sur l’anode, et doit donc nécessairement être mis en jeu dans la réaction chimique permettant de produire de l’électricité. Deux configurations permettent toutefois d’envisager l’utilisation de gaz naturel pour alimenter un véhicule fonctionnant avec une pile à combustible :
- Le gaz naturel peut être reformé au sein du véhicule dans un reformer externe à la pile
- La température est suffisamment élevée pour que le méthane se reforme en hydrogène directement sur l’anode. Ceci nécessite cependant l’utilisation de matériaux spécifiques pour l’anode
La SOFC est ainsi le seul type de pile qui peut être rechargée avec n’importe quel combustible qui contient du méthane dans sa formule, grâce à sa température de fonctionnement élevée qui permet le reformage directement au niveau de l’anode. Le ravitaillement au gaz naturel présente plusieurs avantages vis-à-vis de l’hydrogène. Le gaz naturel est en effet beaucoup moins cher, plus abondant et des infrastructures de recharge sont déjà déployées. De plus le gaz naturel possède une meilleure densité énergétique : à quantité d’énergie équivalente, le GNL occupe un volume 2 à 2,5 fois inférieur à l’hydrogène liquéfié.
L’un des premiers véhicules SOFC a été développé par Nissan. Il s’agit de l’e -Bio Fuel Cell, fonctionnant au bioéthanol grâce à un système de reformage externe miniaturisé et inclus dans le véhicule, comme décrit ci-dessous. Ce système est également envisageable pour le gaz naturel, mais l’ajout d’un reformer externe à la pile présente pour principal inconvénient d’ajouter de la complexité au système, d’accroître les émissions de GES liées à l’utilisation de la pile, et d’ajouter une étape de production énergivore.
La solution la plus propre et la plus efficace d’un point de vue énergétique pour le gaz naturel est donc d’être reformé directement sur l’anode. Le méthane est alors transformé en hydrogène grâce aux réactions catalytiques de vaporeformage et de reformage à sec. Cette transformation chimique nécessite l’utilisation de matériaux spécifique pour l’anode (par exemple le nickel) et est favorisée à des températures supérieures à 700 °C. Avec moins d’étapes, le procédé est simplifié et plus performant.
Du dioxyde de carbone sera toujours produit. Cependant, le flux d’échappement de la pile à combustible est composé de CO2 et d’eau, rendant plus aisés la capture puis le stockage du CO2 pour empêcher son rejet dans l’atmosphère.
Les enjeux de développement de la SOFC au gaz naturel
Bien que prometteuse, la technologie SOFC est encore à un stade très précoce de développement et de nombreux problèmes techniques doivent encore être résolus, notamment pour une application dans le domaine de la mobilité. On distingue deux types d’enjeux : des enjeux spécifiques à l’utilisation du gaz naturel et des enjeux concernant la technologie SOFC dans son ensemble.
Les enjeux de développement de la technologie pile à combustible concernent principalement leur durée de vie et leur rendement. En effet une partie du combustible (hydrogène ou hydrocarbure) n’est pas réduite entraînant donc une perte de rendement, ainsi que des émissions excessives. D’autre part, la très forte température de fonctionnement des SOFC peut endommager ses composants et donc impacter négativement sa durée de vie. Des études sont ainsi en cours pour développer des ITSOFC (Intermediate Temperature Solid Oxide Fuel Cell) fonctionnant à des températures modérées, ce qui aurait également pour avantage de pouvoir recourir à des matériaux moins onéreux.
En ce qui concerne l’usage de la SOFC dans la mobilité, la technologie supporte encore mal les gradients de température causés par les arrêts/démarrages. Les véhicules SOFC mettent ainsi plus de temps à démarrer et lorsque le démarrage est trop brut, des pièces de la pile peuvent être endommagées. Des recherches sont ainsi menées sur les matériaux et les systèmes de contrôle thermique permettant de remédier à ce problème. Enfin, l’utilisation du gaz naturel par reformage interne crée de défis spécifiques à relever, comme la création de résidus de coke sur l’anode au moment du reformage du méthane, pouvant endommager les pièces et entraîner des défaillances. L’utilisation de gaz naturel génère également des émissions de gaz à effet de serre, par rapport à des piles à combustible fonctionnant à l’hydrogène pur qui ne rejettent que de l’eau. Ce problème peut être atténué par l’amélioration de la réaction catalytique à l’anode. L’utilisation de biométhane permettrait également de réduire ces émissions en ne rejetant que du CO2 biogénique.
Pistes de développement
Pour améliorer encore davantage l’efficacité énergétique des SOFC et limiter les pertes d’hydrogène non oxydé, plusieurs pistes de recherches sont en court, comme l’hybridation ou la recirculation du gaz :
- Des chercheurs de l’EPFL ont mis au point un nouveau procédé permettant d’accroître l’efficacité et la durée de vie des SOFC en utilisant un ventilateur de recirculation entraîné par une turbine à vapeur.
En mode de fonctionnement nominal, les SOFC convertissent autour de 80 % à 85 % du carburant, qui ne transite qu’une fois dans le dispositif. L’équipe de l’EPFL a été en mesure de faire circuler le gaz sortant une seconde fois grâce à un ventilateur de recirculation qui augmente la pression des gaz de sortie et les amène à un niveau compatible avec la pression de l’intérieur de la cellule. La recirculation n’est pas un concept neuf, mais l’équipe a développé un nouveau type de ventilateur équipé de paliers lubrifiés à la vapeur et entraînés par une turbine à vapeur fonctionnant grâce à la chaleur produite par la cellule. En plus d’accroître le rendement de près de 10 % sur certaines observations, la recirculation a l’avantage d’accroître la durée de vie des SOFC. Ce développement a été réalisé sur des SOFC à l’hydrogène, mais des recherches additionnelles pourraient mener à une application au gaz naturel. En effet, le même phénomène se produit dans le cas d’usage de combustible, puisque 100 % du combustible n’est pas reformé au niveau de l’anode et du combustible en excédent pourrait être réutilisé.
- Une expérience publiée en avril 2020 a permis de démontrer l’intérêt d’une hybridation entre les SOFC et les moteurs à combustion classiques. Le gaz de dégagement de l’anode (combustible non utilisé) de la SOFC est ainsi utilisé comme carburant pour un moteur à allumage par étincelle. Une comparaison a été établie avec la combustion au gaz naturel comprimé (GNC) dans les mêmes conditions de fonctionnement de moteur. Les résultats expérimentaux montrent que les effluents gazeux de l’anode peuvent être utilisés comme carburant alternatif potentiel pour un moteur à combustion, pouvant alors fournir une puissance supplémentaire à un système SOFC. La combustion avec les effluents gazeux anodiques a abouti à un rendement net similaire au GNC, mais avec des émissions de NOx négligeables et zéro émissions totales d’hydrocarbures. En revanche, le rendement volumétrique est plus faible que pour le GNC en raison du niveau de dilution des effluents gazeux.
Pour optimiser le reformage interne d’hydrocarbure, les pistes de recherches technologiques se centrent sur les matériaux utilisés pour fabriquer l’anode et sur des ajouts possibles aux combustibles :
- Une étude publiée en mars 2020 a établi un design optimal pour les SOFC utilisant le reformage par oxydation partielle du gaz naturel, afin de limiter la formation de résidus sur l’anode. Il est possible d’ajouter du gaz contenant de l’oxygène dans le gaz combustible pour augmenter le rapport oxygène/carbone et empêcher la formation de coke. Cette dernière option est celle étudiée et les chercheurs se proposent de définir les débits optimaux permettant de maximiser la puissance de crête. Si un fort niveau de CH4 par rapport à l’oxygène augmente la puissance de crête, il accroît également les risques de dépôts de carbone.
- L’anode de type Ni-YSZ est la plus couramment utilisée, mais présente comme défaut d’être sujette à cémentation[2] en présence d’hydrocarbure. Dans une étude « Co-fired anode-supported solid oxide fuel cell for internal reforming of hydrocarbon fuel », la composition de l’anode est optimisée par ajout de cuivre. L’usage de cet alliage optimisé a ainsi permis d’accomplir une diminution des dépôts de carbone de l’ordre de 50% par rapport au matériau de référence.
Enfin, l’activation rapide des SOFC est un enjeu majeur pour leur utilisation dans le secteur de la mobilité. Un brevet publié en juin 2020 par Nissan propose une innovation portant sur la structure des unités composant les SOFC afin de fournir un système qui peut être rapidement activé tout en protégeant les éléments d’étanchéité disposés entre les unités de pile. En effet lorsque la pile à combustible est activée de manière soudaine, cela entraîne une forte hausse de température qui peut notamment endommager les couches de séparation disposées entre les unités empilées, et conduire à une dégradation du système. Dans la structure proposée, un nouvel arrangement de la séparation des unités est proposé, ainsi qu’un système d’échange de chaleur entre unités pour contrôler la température.
Plusieurs pistes de réflexion permettent donc d’envisager un avenir pour les véhicules SOFC. La large majorité des piles à combustible destinées à la mobilité sont aujourd’hui conçues pour fonctionner directement à l’hydrogène pur. Pourtant, les véhicules SOFC pourraient fonctionner au gaz naturel et ainsi représenter une alternative aux véhicules à moteurs thermiques, avec notamment un meilleur rendement et de meilleures performances en termes d’émissions. La technologie SOFC ferait ainsi particulièrement sens dans les centres-villes, où les régulations sur les émissions de particules fines, de NOx et de SOx se font de plus en plus strictes. De plus, les moteurs fonctionnant avec des SOFC étant des moteurs électriques, il est possible d’envisager une hybridation batterie/SOFC, où le gaz naturel pourrait alimenter un prolongateur d’autonomie, sur le même modèle que les prolongateurs hydrogène reposant aujourd’hui sur l’usage de PEMFC.
Pour aller plus loin :
- Présentation SOFC du Collège de France
- Thèse sur le fonctionnement sous méthane d’une pile à combustible, 2008
- Publication : A Planar Anode -Supported Solid Oxide Fuel Cell Model with Internal Reforming of Natural Gas
- Mémento de l’association française pour l’hydrogène et les piles à combustible sur la pile SOFC
[1] Le rendement d’une pile à combustible est le rapport entre l’énergie électrique produite et l’énergie chimique absorbée
[2] Cémentation : Pénétration de carbone dans un métal sous l’effet de la chaleur, altérant les propriétés mécaniques du matériau.