Publié par Journal of Cleaner Production on Science Direct, Décembre 2021
L’essor des véhicules GNC et GNL nécessite le développement de stations permettant de distribuer le carburant sous sa forme liquide et gazeuse. Il existe aujourd’hui deux principaux cas de figure : les stations peuvent être connectées au réseau de gaz pour produire et distribuer du gaz sous forme comprimée uniquement, mais peuvent également s’appuyer sur l’usage d’un satellite GNL (rechargé par camion) permettant alors de dispenser à la fois du GNL et du GNC. Dans cette seconde configuration, où le GNL est refroidi à -162°C, deux phénomènes importants ont lieu, soulevant des enjeux majeurs :
1. Sous l’effet d’échanges thermiques avec l’extérieur, une partie du GNL s’évapore et donne lieu à la formation de « boil-off gas » (BOG). En raison de leur composition, ces derniers contribuent très fortement au réchauffement climatique en cas de rejet dans l’atmosphère. Cependant, pour conserver une pression constante dans le réservoir, ils ne peuvent pas être accumulés et doivent être traités ou évacués. En parallèle, la production de vapeur d’essence au sein des réservoirs d’essence pose des problématiques similaires de sécurité et de pollution. Or, afin de réduire l’investissement initial et d’économiser de l’espace, construire une station hybride GNL/essence constitue une option intéressante, surtout dans un environnement urbain. Dans le cas d’une telle configuration hybride, les deux problèmes coexisteraient donc.
2. Lors de la distribution de GNC, et dans une moindre mesure de GNL[1], une large quantité d’énergie froide est libérée (environ 860-883 kJ/kg dans le cas d’une regazéification) et potentiellement perdue. Cette énergie peut être valorisée, avec toutefois pour enjeu de le faire dans des conditions de rentabilité suffisantes. Des exemples concrets peuvent être trouvés au niveau de stations de regazéification des terminaux GNL, au Japon notamment, où des cycles de Rankine ont été déployés afin de générer de l’électricité. L’énergie froide n’est aujourd’hui pas valorisée au niveau des stations GNV. Plusieurs projets de recherche se sont toutefois penchés sur le sujet, proposant diverses solutions (production d’électricité, purification d’eau usée, séparation d’air, stockage, etc.)[2].
Dans cet article universitaire chinois, le concept proposé combine plusieurs sous-systèmes utilisés en cascade afin de valoriser au mieux les déperditions de froid, et ce sur les différentes plages de température obtenues lors de la re-condensation du GNL. La récupération d’énergie froide sert à recondenser les BOG et les vapeurs d’essence, à stocker de l’énergie dans un système de stockage d’énergie à air liquide (LAES) et à créer de l’électricité avec un cycle de Rankine parallèle (PRC).
Schéma général du système |
Cette production d’électricité couplée au système de stockage peut ainsi contribuer à l’écrêtement des pointes (peak shaving), c’est-à-dire l’utilisation de sources d’énergie alternatives pour répondre à la demande d’électricité pendant les heures de pointe, comme présenté sur le schéma ci-contre.
Le principe de chacune des sous-briques technologiques du système est détaillé dans les paragraphes et le schéma ci-dessous. Ainsi, lors de la regazéification du GNC :
[1] Selon les modalités de distribution du GNL (froid, saturé, super-saturé) de l’énergie froide pourrait également être récupérée (cf. veille T4 2020).
[2] Voir revue de littérature effectuée dans l’article pour plus de détails
- En mobilisant la plage de température la plus faible, les deux premiers sous-systèmes permettent de recondenser la totalité des BOG du réservoir de GNL ainsi que la vapeur d’essence. Les gaz ainsi recondensés sont renvoyés dans leurs réservoirs respectifs.
- En parallèle, le sous-système LAES récupère l’énergie froide dans la gamme de température suivante. Le principe consiste à refroidir l’air par échange thermique avec le GNL, jusqu’à ce que ce dernier se liquéfie, puis à le stocker dans un réservoir. En cas de besoin d’électricité, l’air liquide est ramené à l’état gazeux et utilisé pour faire tourner une turbine produisant de l’électricité. Les auteurs décrivent ce système de stockage comme prometteur : développé il y a quelques années, doté d’une densité énergétique élevée, respectueux de l’environnement, il permet également une longue période de stockage. A la sortie de ce sous-système, le GNL a une température de -130°C.
- Enfin, le sous-système PRC (création d’électricité avec un cycle de Rankine parallèle) récupère l’énergie froide des gammes de températures supérieures du GNL afin de produire de l’électricité. La production d’électricité cryogénique est la méthode la plus populaire et la plus mature dans la valorisation des déperditions de froid du GNL car le cycle de Rankine est simple et flexible. Cependant elle n’a jamais été appliquée à des stations de GNL selon les auteurs. L’électricité produite peut également être stockée dans le LAES.
Schéma présentant les différents sous-systèmes de récupération d’énergie froide |
L’article explore de manière très détaillée les performances et les leviers d’optimisation du système. Selon l’analyse économique menée par les auteurs, un tel dispositif permettrait d’atteindre un retour sur investissement plus court que pour un cycle de Rankine seul (5,27 années contre 5,34 ans). Par ailleurs, les cycles de Rankine seuls ne peuvent être utilisés sur la totalité des plages de température de la regazéification du GNL.
Au contraire, la mise en œuvre de ce système permet une valorisation optimisée du processus, en limitant largement la destruction d’exergie[1] :
[1] En thermodynamique, l’exergie est une grandeur physique permettant de mesurer la qualité d’une énergie.
Schéma de détail des 4 sous-systèmes. |
La température du GNL sortant du cycle de Rankine parallèle est par ailleurs d’environ – 40 ◦C, l’énergie restante pourrait ainsi être combinée avec d’autres technologies, de climatisation par exemple. Les auteurs indiquent que de futures recherches pourraient se concentrer sur l’optimisation du cycle de Rankine et de la fluctuation des prix d’électricité dans la stratégie d’écrêtement des pointes.
S’inscrivant dans la dynamique des efforts actuels visant à améliorer l’efficacité globale des stations GNV (voir veille T4 2020, T3 2020), l’étude explore aussi les synergies liées au couplage de stations GNL/essence mais également du couplage gaz/électricité. D’apparence complexe et aujourd’hui seulement au stade d’étude, le projet apporte malgré tout une contribution intéressante en introduisant plusieurs concepts qui pourraient être approfondis pour évaluer leur applicabilité et viabilité dans le contexte européen.